vendredi 27 février 2015

Dedalus/Muzzix à la Générale: "Moondog/Round the World of Sounds" 25 Février 2015 (pré-Sonic Protest)

(tu connais pas Moondog? Va voir ici tu me remercieras après))



L'an dernier, j'avais trouvé la prog du Sonic Protest dans l'ensemble très bien, j'ai un superbe souvenir du concert de Merzbow, mais aussi de Jéricho, de Mammane Sani, Zeitkratzer... (Moins aimé Brigitte Fontaine et Areski, ce soir-là, mais bon, on leur pardonne tout, ils ont fait "L'Incendie".)

Et cette année, ça s'annonce plutôt très bien, avec le film We Have an Anchor, le film de Jem Cohen, avec musique en direct de Guy Picciotto (Fugazi), Jim White (Dirty Three),et des gens de Godspeed You! Black Emperor entre autres, mais aussi The Necks, Phil Minton, Motus (Emmanuelle Parrenin de Mélusine et Pierre Bastien) mais aussi Charlemagne FUCKIN Palestine avec Mondkopf, que j'attends de pied ferme. Le Sonic Protest, rassemblant les sphères Noise, Indus, Drone, Indie, improvisée, psyché, même s'il caresse quand même pas mal les hipsters dans le sens du poil, propose toujours des choses intéressantes, et surtout qu'on entend pas souvent en concert.

Ce 25 février à la Générale, il y avait donc avant le concert sur Moondog, un documentaire de Jem Cohen, (on lui doit notamment Instrument, sur Fugazi), "Gravity Hills Newsreels: Occupy Wall Street", avec notamment des musiques de Guy Picciotto. Je vais pas m'étendre, parce que je suis loin d'être spécialiste, surtout en documentaire, mais le film s'est avéré vraiment prenant. Comme son nom l'indique, il suit le mouvement Occupy pendant quelques jours de l'année 2011, pendant plusieurs fragments, montés par journée et endroit, qui, mis bout à bout, donnent 45 minutes d'aperçu de l'ambiance des manifestations. Des instants, des bouts de trucs, pas de narration ou de fil conducteur autre que ce mouvement. Au départ, le rythme déroute un peu, avec un montage très sec, qui s'attarde peu sur des moments, aussi intéressants soient-ils.

Puis, porté par des mouvements de foules, des cris, des pancartes et slogans innombrables, des séquences plus éthérées portées par les nappes de Picciotto, les rêves de ces gens,  on sort du film un peu plus confiant, se disant "pourquoi pas, là?"

Bref. là ce soir je suis venu pour les pièces de Moondog, mais aussi pour l'ensemble Dédalus, mené par Didier Aschour que j'ai rencontré pour mon mémoire. Ils ont pour principe de faire connaître des musiques exigeantes, radicales: ils sont les seuls en France à jouer le répertoire Wandelweiser, et sont dans les rares à jouer Cardew, Feldman, Tenney, Pascale Criton. Et de le faire avec respect pour le compositeur et sa pensée, comme pour ce projet, avec l'ensemble Muzzix, du Nord, où ils ont eu ce souci de ne jamais partir de la musique du compositeur, de ne pas "rêver autour de Moondog". (cf ce lien, ces bâtards de gogoles veulent pas autre chose que du Youtube... ). Ici, la lisibilité des mélodies et du contrepoint, l'amour des timbres des percussions, du jazz ou de la musique ancienne, mais aussi la générosité et l'enthousiasme ont été de mise tout le concert.

Donc le concert était un extrait du "Round the World of Sounds", suite de madrigaux composés durant les années 60 par Moondog,  agrémenté d'instrumentaux tous tirés (sauf erreur de ma part) du premier album sorti chez Columbia en 69. La construction du set était assez claire: trois madrigaux-un instrumental, pour 45 minutes de bonheur. Les madrigaux de Moondog sont des simples mélodies chantées et jouées en canon, mais souvent avec une rythmique un peu tordue (5/4, 7/8, etc...).
Le méga-ensemble composé des musiciens de Dédalus et de Muzzix regroupait des cuivres (sax, trompette, trombone), des claviers (synthé imitant épinette et harmonium, et piano), deux guitares, violoncelle, piccolo, et deux percussionnistes "à temps plein" , les autres chantant ou jouant épisodiquement une percussion.
On se retrouve donc avec une nuée de percussions différentes, de la grosse caisse frappée à la maracas, aux divers woodblocks, cymbales, clochettes, tambourins, serpents, et plein d'autres dont tu sais pas le nom. Et c'est là où ils ont été assez malins pour ne pas imiter strictement les sons très riches de instruments crées par le Viking, mais pour retranscrire l'impression qu'ils ont face à cette richesse, nous noyant de même dans ces vagues de timbres, un même percussionniste pouvant aussi changer quand il veut au sein du morceau. En cela on peut vraiment parler du "Monde de Sons", qui est le titre du cycle dont les pièces vocales sont extraites.

A cette richesse de timbres s'ajoute un enthousiasme totalement sincère, un plaisir de jouer qui sied très bien à la musique de Moondog. On se laisse totalement happer par la gamme d'émotions des morceaux: de la joie la plus simple de "Maybe", porté par une percussion tribale comme le compositeur les affectionnait, à la mélancolie du "All is Loneliness", en passant par la solennité du "Bird's Lament", pièce mettant les saxophones en avant, dédiée à Charlie Parker. On peut aussi mentionner de très bonnes idées d'arrangement, comme ce "Theme", qui dans le disque dont il est tiré, est porté par un orchestre: l'ensemble le fera introduire par la guitare sèche et l'épinette, donnant ce côté pincé aux accords saccadés, tendus écrits par Moondog, avant l'arrivée des cuivres sur le thème. Notons aussi ce final, où les cuivres ont utilisé l'espace de la Générale à un très bon escient, au-delà de la simple mise en scène: se mettant sur le balcon pour répondre aux percussions restées en bas sur la scène, ils donnent un son plus diffus, lointain à leurs appels.

J'ai passé un excellent moment: cette richesse de timbres, d'émotions, n'a en rien empiété sur la clarté, l'honnêteté de la musique de Moondog, sur la générosité et l'intelligence de ces miniatures. Dedalus et Muzzix ont réussi à lui redonner l'espace d'une soirée, une belle vie.

Des vidéos ici, pour vous faire une idée!